La Voie de l’Errance

La Choisille

Il existe mille manières de marcher, mais quatre d’entre elles reviennent toujours, comme les vents qui sculptent les crêtes.
Elles ne sont ni des catégories, ni des diagnostics : ce sont des dispositions de l’âme, des façons de se rapporter au chemin, aux autres, au monde, à soi.

La marche qui cherche le regard
Il y a en chacun de nous une part qui marche pour être vue.
- Elle cherche un signe, une approbation, une présence à distance.
- Elle veut que le chemin lui réponde, que le monde dise : “Oui, tu es là.”
- C’est la marche qui relance, provoque, questionne.
- La marche qui espère la rencontre mais craint de s’y abandonner.
- Une marche brillante, vive, un peu douloureuse, qui fait du paysage un miroir.

La marche qui retarde
Et puis il y a cette marche plus secrète, celle qui évite la décision.
- Une marche qui calcule, qui observe, qui pèse les détours.
- Cette part de nous avance comme on tourne autour d’une vérité qu’on redoute.
- Elle aime les itinéraires sûrs, les contrôles, les repères.
- Elle cherche dans le pas répété une forme d’apaisement.
- Comme si l’acte même de marcher protégeait de ce qu’il faudrait choisir.
- C’est la marche qui pense trop, mais qui connaît si bien la forêt intérieure.

La marche qui transgresse
En nous vit aussi une marche plus orgueilleuse :
- celle qui veut imposer sa trace au chemin.
- Elle coupe hors-sentier, elle teste les limites,
- Elle veut éprouver la loi du territoire, vérifier sa solidité.
- Non pour se perdre, mais pour sentir sa propre puissance.
- C’est une marche un peu dure, parfois juste, parfois orgueilleuse,
- Elle oublie que le monde n’a pas besoin qu’on le corrige pour être vrai.

Et puis, il y a la marche qui consent
Celle-là ne cherche rien, ne fuit rien, ne domine rien.
- Elle avance comme on respire : sans intention excessive, sans dépendance.
- Elle accueille le relief, les pierres, les herbes, elle laisse être ce qui est, sans résistance ni soumission.
- C’est une marche stoïcienne : une marche qui se tient dans l’accord
accord avec le réel, accord avec le temps, accord avec la part divine qui passe dans le monde.
- Ici, le désir ne séduit pas, ne s’inquiète pas, ne commande pas : il se laisse accorder, comme une corde qu’on ajuste selon le vent.

Une seule marche, quatre tonalités.
Ces quatre marches vivent en chacun de nous. Il n’y a pas à choisir.
Il suffit de reconnaître dans quel souffle on avance aujourd’hui :
Parfois, on marche pour être vu. Parfois, pour éviter de se voir.
Parfois, pour prouver quelque chose au monde. Parfois, pour épouser le monde.

Mais l’errance, la vraie, commence quand on comprend que le chemin n’est jamais extérieur.
Il traverse le paysage, oui, mais il nous traverse surtout nous.

Alors chaque pas devient une manière de faire la paix avec le désir :
- celui qui manque -
- celui qui inquiète -
- celui qui transgresse -
- enfin celui qui s’accorde-

La Voie de l’Errance n’est rien d’autre que ce mouvement-là
Apprendre à marcher dans toutes les directions du désir, sans s’y perdre, et sans s’y attacher.

Le Ventoux face nord